68ème édition du festival de Cannes. Un cocorico en demi-teinte

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 68ème édition du festival de Cannes. Un cocorico en demi-teinte

La 68ème édition du festival de Cannes, qui s’est tenue sur la croisette du 13 au 24 mai dernier, s’est close avec brio pour la sélection française largement récompensée avec trois prix majeurs remportés : la célèbre Palme d’or pour le film de Jacques d’Audiard Dheepan qui retrace l’histoire d’une famille d’immigrés sri-lankais en France, le prix d’interprétation masculine pour un Vincent Lindon, bien ému lors de son discours, et qui interprète dans La Loi du marché de Stéphane Brizé un homme luttant contre le chômage et, ex aequo avec l’actrice Rooney Mara, Emmanuel Bercot qui s’est vue récompensé pour sa prestation dans Un Roi de Maïwenn, film qui retrace l’itinéraire d’un couple, leur amour destructif et la tragédie du divorce.

Et pourtant ! Si notre fierté française ne peut qu’apprécier la reconnaissance d’un tel palmarès et plaindre sans réelle conviction les Italiens repartis bredouilles, cet instant de gloire ne cache pas la réalité d’une France divisée et sans vrais repères que cet événement, convenu à souhait, n’a pas manqué de souligner.

Les stars planétaires du 7ème art, et d’autres personnalités en manque de visibilité, sont donc venues défiler sous les flashs des photographes, moment de de grâce certes, où la France paraît tenir encore un rang : celui du glamour et d’un art qu’elle maîtrise ! Mais la Croisette s’est bien flétrie ces dernières années. La semaine fut jugée terne en fin de compte, les films étant considérés comme plutôt banals par la critique : pas de révélation fulgurante, de coup de cœur unanime ou de génie insoupçonné ! On entendait plus parler des robes et des dessous faussement dissimulés des starlettes lors de la montée des marches que des films en compétition. Outre le débordement de luxe qui participe du folklore, et cette manie maladive des selfies sur le tapis rouge, les journaux se sont gavés de strass et de paillettes, relayant cet étalement bling-bling qui réjouit une France encore marquée par les événements de janvier et préférant oublier la mort dans un divertissement pascalien. Pendant que Palmyre est prise par les djihadistes et que les intellectuels se déchirent sur la réforme de l’éducation, les footballeurs, actrices de télé réalité, chanteurs, stars de la jetset, et mannequins défilent à Cannes en promouvant les grandes marques internationales.   

Rendez-vous mondain donc d’un milieu « bobo », perçu désormais comme inaccessible, élitiste, bien trop caviar pour le peuple, et où les différents ministres du gouvernement socialiste sont venus se montrer. Outre la présence de Fleur Pellerin, qui y avait toute sa place quand on sait que le ministère de la Culture subventionne généreusement l’événement, on a vu Christiane Taubira monter les marches pour soutenir La Tête haute, film prônant notre bon système judiciaire et la réintégration des jeunes délinquants dans la société, Manuel Valls, premier ministre en smoking, venu assister à  la projection du film italien Mia Madre de Nanni Moretti, grand favoris de la critique française, et encore Anne Hidalgo, maire de Paris, qui s’est exhibée fièrement sur le tapis rouge, illustrant parfaitement le paradoxe de ces élus soi-disant proches du peuple et qui caracolent en fait dans des manifestations mondaines. Leur présence en soi n’a rien d’absurde, s’ils veulent un moment de gloire personnelle, elle décrédibilise néanmoins leur discours moralisateur alors qu’ils n’ont de cesse de fustiger le bling-bling des uns ou les excès des autres.

Un paradoxe donc entre un festival qui se détourne de plus en plus du peuple et les sujets traités par les films récompensés qui reflètent bien l’ambiance morose française : le chômage, l’immigration et les affres du divorce ! Parfait résumé du malaise sociétal français. Si cela n’affecte point la qualité de ces longs métrages, il était quand même difficile d’allier des films aussi dépressifs. C’est donc des sujets difficiles, un peu victimaires, fidèles miroirs d’une société en quête de repères que la sélection a retenu. Entre cette belle histoire d’exil d’un ancien guerrier tamoul devenu concierge dans une cité française, et celle d’un homme qui ne veut pas se compromettre dans une société qui l’a abandonné, ce n’est pas la culture française qui est sublimée, elle est plutôt moquée, mise à distance.

Le coq gaulois peut donc s’enorgueillir de ces récompenses, et la Croisette se complaire dans le faste et les paillettes, il faut bien que ça brille pour faire oublier le réel. 

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