Chefs d’œuvres de lumière à la Cité de l’architecture. De Chagall à Benzaken, une plongée dans le vitrail moderne et contemporain

Publié le

Chefs d’œuvres de lumière à la Cité de l’architecture.  De Chagall à Benzaken, une plongée dans le vitrail moderne et contemporain

La Cité de l'Architecture et du Patrimoine présente une exposition consacrée au vitrail contemporain de 1945 à nos jours, défi de taille que l’institution s’est imposé en abordant cet art monumental souvent méconnu et qui s’expose de fait difficilement.

Pourtant, le visiteur est habilement plongé dans l’univers de cet art créatif, la scénographie ayant cherché à jouer sur le rétroéclairage pour rendre au mieux la transparence et les jeux de lumière sur les verrières colorées. Le parcours s’articule de part et d’autre d’un caisson lumineux sur lequel sont affichés documents graphiques, panneaux d’essai, cartons originaux et dessins préparatoires. De nombreuses répliques d’œuvres placées à hauteur d’yeux permettent une vision rapprochée et insolite des vitraux. De plus, les œuvres sont recontextualisées dans leur architecture grâce à des photographies. On prend conscience de l’abondance et de la diversité des vitraux en France, véritables chefs d’œuvre de lumière qui enrichissent notre patrimoine national. Notre pays se révèle en effet être une terre d’élection de cet art magnifique qui a perduré à travers les époques ; la production moderne et contemporaine a donc poursuivi cette tradition, faisant vivre un art prometteur qui allie subtilement la « folie » de la modernité à la transcendance du sacré.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, les vitraux étaient majoritairement commandés à des artistes croyants ; après la Seconde guerre mondiale de nouveaux champs d’expérimentation s’ouvrent pour le vitrail moderne dans un contexte de reconstruction et d'évangélisation. S’illustre alors l’expression créatrice de plusieurs artistes modernes tels Marc Chagall, Jean Bazaine, Fernand Léger, Soulages… On découvre des œuvres abstraites profondément lyriques, des prouesses techniques avec des jeux sur la matière, un renouvellement du vocabulaire figuratif, et surtout une explosion de la couleur. Un très beau sujet donc qui magnifie ce lien privilégié du vitrail avec la lumière.

Alfred Manessier pour l’église Saint-Michel des Bréseux.

L'exposition s'ouvre sur l'église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d’Assy en Haute-Savoie construite en 1937-1946 par l’architecte Novarina et qui fut considérée comme un manifeste de la modernité. Elle réunit nombre d’artistes majeurs qui vont élaborer un nouvel art sacré perçu comme un terrain d’expression de l’avant-garde. L’église accueille des sculptures de Braque, des céramiques de Matisse et Chagall et de somptueux vitraux dus à Georges Rouault et Jean Bazaine. Si ici l'alliance de l'Église et de l'art contemporain ne choque pas, il en est autrement lorsque le moderne côtoie des murs plus anciens comme pour les vitraux de Saint-Michel des Bréseux dans le Doubs ; en 1948, les premiers vitraux non figuratifs réalisés par Manessier vont susciter une réelle polémique dans la communauté ecclésiale. 

Quelques années plus tard, c’est la cathédrale de Metz qui va accueillir des vitraux d’artistes contemporains pour remplacer ceux détruits dans les bombardements. Chagall décore deux baies du déambulatoire nord en revisitant des sujets bibliques : il développe sa vision personnelle avec une grande liberté dans les teintes, offrant un chatoiement de couleurs extraordinaire entre ces bleus et rouges rehaussés de vert, de jaune ou de violet.

On assiste donc à une simplification des formes, aidée par l’épanouissement de la technique de la dalle de verre. Autre projet gigantesque, les vitraux de la cathédrale de Nevers font l’objet d’une commande publique entre 1976 et 2011. En 1973, Raoul Ubac orne le chœur roman de vitraux abstraits inspirés des paysages alentour puis cinq artistes dont Jean-Michel Alberola, François Rouan et Claude Viallat vont se mesurer pour renouveler cet art lumineux, posant la question des œuvres contemporaines dans un lieu culturel et leur relation avec le sacré.

Une nouvelle génération d’artistes propose donc un langage esthétique renouvelé, cherchant à recréer une atmosphère spirituelle empreinte de poésie marquée tout d’abord par l’abstraction et la non-figuration. Les artistes rivalisent aussi de motifs symboliques ou purement décoratifs, les mettant souvent en relation avec l’architecture dans laquelle le vitrail s’insère. D’autres prennent position pour la figuration, comme Carole Benzaken et sa série sur les tulipes qui rappellent des calices et symbolisent, selon elle, la fragilité de la vie. On contemple donc ces productions qui allient modernité et techniques traditionnelles, découvrant un art qui atteste encore d’une recherche de créativité ancrée dans un contexte patrimonial et cultuel puissant.

Mais l’art du vitrail c’est aussi la collaboration entre l’artiste et l’artisan, entre le génie du peintre et les  savoir-faire des ateliers de peintres verriers. En témoignent les recherches techniques de Pierre Soulages et de l’atelier toulousain Fleury pour réaliser les vitraux « blancs » translucides de l'abbaye de Conques. L’artiste a en effet travaillé pendant six ans pour créer un verre spécialement riche, aussi transparent que l'albâtre, et qui souligne la pureté des lignes et les tons de la pierre. 

 

 

Robert Morris et les ateliers Duchemin, quant à eux, ont joué sur des effets de matière proche de la sculpture pour réaliser les vitraux de l’ancienne cathédrale de Maguelone. Ces œuvres, déclinées dans des tons de bleu pâle et de miel, évoquent l’onde produite lorsqu’un caillou tombe dans l’eau. Une recherche technique au service d’un art encore vivant et porteur.

Cette exposition insolite vaut donc bien certainement le détour. Elle nous fait découvrir de vrais ouvrages d’exception en nous  immergeant aisément dans cet art exceptionnel du vitrail moderne assez méconnu en définitif. Grâce à la proximité des œuvres présentées et la qualité des explications, le visiteur perçoit en tout cas un peu de cette transcendance auxquels les artistes ont aspiré.

 

Chagall, Soulages, Benzaken… Le vitrail contemporain. Cité de l'Architecture et du Patrimoine 

1 place du Trocadéro 75016 Paris. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11h à 19h, le jeudi jusqu'à 21h.

Publié dans Art - Culture

Partager cet article

Repost0

Commenter cet article