Le « vaisseau » de la Fondation Vuitton. L’ambitieux projet de Bernard Arnault
À près d’un an d’existence, la Fondation Vuitton et son gigantesque musée privé édifié dans le bois de Boulogne continue à faire recette. Au début de l’année 2015, elle avait déjà dépassé le chiffre de 500 000 visiteurs pour atteindre 750 000 visiteurs au mois de juin. Un public au rendez-vous donc qui confirme le succès des expositions successives. Le 27 octobre 2014, une véritable effervescence médiatique avait accompagné l’inauguration de ce « monstre » architectural. En présence de François Hollande et du PDG de LVMH, Bernard Arnault, l’architecte américain Frank Gehry, connu notamment pour le musée Guggenheim à Bilbao (1997), avait présenté sa nouvelle réalisation : une œuvre exceptionnelle à plus de 100 millions d’euros marquée par le style très personnel de son concepteur. Que dire du bâtiment ? Si on ne peut qu’être happé par son immensité et sa complexité, les vitres courbes des « voiles » permettent un jeu de transparence et de reflets qui procure une surprenante légèreté à l’ensemble. Construit avec des matériaux innovants, et de qualité, qui assurent sa pérennité, cette performance technologique suscite de fait l’admiration. L’audace de l’architecte se retrouve d’ailleurs dans les espaces intérieurs avec des ruptures visuelles qui cassent les perspectives. Les pièces sont spacieuses et agréables, les salles d’exposition sobres aux proportions magistrales sont éclairées par des puits de lumière, un très bel auditorium permet d’accueillir une programmation multiculturelle et les terrasses offrent un magnifique panorama sur l’Ouest parisien. Une prouesse architecturale qui marquera les esprits. Mais qu’en est-il de la proposition muséale ?
Si le concept de musée privé connaît désormais un développement accru, très certainement du fait de la baisse des moyens alloués à la culture dans le domaine public, Bernard Arnault, en tant que personnalité influente a su se positionner pour valoriser à la fois son empire et ses actions de mécénat dans le domaine artistique. Première fortune de France en 2014, il acquiert avec sa fondation une nouvelle dimension en s’imposant comme une force de proposition culturelle dans le paysage français. Un pari risqué certes, mais une opération réussie jusqu’à présent : la programmation choisie par la direction trouve en effet un réel écho dans le public français et étranger qui ne semble pas rebuté par le prix du billet d’entrée.
Après les installations d’Olafur Eliasson, on peut s’arrêter sur la dernière exposition proposée par la Fondation (« Les Clefs d’une passion » jusqu’au 6 juillet prochain) qui a fait le choix de rassembler une soixantaine de chefs d’œuvres de grands artistes modernes de Monet à Rothko en passant par Matisse, Munch, Giacometti ou Picabia. Points d’ancrage de la modernité, ces chefs d’œuvres ont tous remis en question une certaine vision de l’art, ils sont ici présentés comme des œuvres de référence et d’influence à mettre en parallèle avec un art contemporain souvent difficile d’accès. La scénographie fortement épurée se décline d’ailleurs autour des quatre thèmes (expressionnisme subjectif, contemplatif, popiste et musique) qui reprennent en miroir la structure des collections permanentes.
Un discours voulu par le président de LVMH qu’on peine un peu à saisir, mais qui conforte son désir d’installer une vision audacieuse et innovante de l’art contemporain en France. Si l’exposition participe d’une certaine surenchère, quand on voit les investissements financiers et les moyens diplomatiques mis en œuvre auprès des différentes institutions muséales qui ont consenti aux prêts (aucune des quatre versions du célèbre Cri d’Edvard Munch n’avait été exposée hors de Norvège depuis des années !), on peut tout de même se féliciter de pouvoir admirer ces œuvres en France.
Le propos scientifique manque un peu de cohérence, mais le dialogue des œuvres entre elles assure l’émerveillement et une émotion certaine. Finalement, plutôt qu’une exposition, c’est une véritable confrontation avec des icônes de l’art moderne.
Le « vaisseau » de la Fondation Vuitton, étrange objet qui semble venir d’ailleurs, ne manque donc pas d’interpeler ; peuplé d’une riche collection d’œuvres d'art assez hermétiques au premier venu, mais vantées par les initiés, ce musée privé remplit son office en offrant un nouvel espace artistique, en proposant des expositions audacieuses et en générant une vitalité économique qui valorise les savoir-faire français et dynamise un secteur culturel en manque d’investissements. On saluera donc ce projet ambitieux en espérant peut-être un contenu muséal plus accessible pour un public qui n’est pas forcément initié aux concepts souvent compliqués de l’art contemporain. Le musée n’y gagnera que plus d’adeptes.