Loin des polémiques, une sculpture contemporaine dans les jardins de Versailles
Alors que l'œuvre contemporaine d’Anish Kapoor, « Dirty Corner », installée dans la perspective du parc du Château de Versailles à côté du bassin de Latone, a suscité la polémique au printemps dernier, entrainant une levée de boucliers des détracteurs et défenseurs de l'art contemporain, et qu’entre dégradations et mauvaise communication, la controverse n’a cessé de rebondir, on peut réfléchir un moment sur l’intégration de l’art contemporain dans nos espaces patrimoniaux aujourd’hui. Au-delà d’une volonté de provocation manifeste, le château de Versailles est devenu en quelques années un lieu où se cristallise les tensions et les différents « affaires » oscillent constamment entre une volonté de promouvoir l'art contemporain et les réticences à « défigurer » un lieu hautement symbolique du patrimoine français. Ce qui est finalement dommage c’est que le branle-bas de combat autour de cette installation a éclipsé une autre réalisation qu’il faut ici souligner. La renaissance du bosquet du théâtre d’Eau avec l’intégration d’une sculpture contemporaine pérenne dans les jardins de Versailles.
Le but de ce chantier lancé en 2010 était de concilier histoire et création ; le concept même fera toujours des mécontents et si certains choix de restauration ne font pas l’unanimité et qu’on peut regretter certains partis pris, on ressent un réel souci d’intégration et de valorisation dans un esprit contemporain. Le château de Versailles cherchait en effet un projet pour revaloriser ce qui avait été un temps le « Bosquet du théâtre d’eau » et qui fut fortement endommagé par la tempête de 1999. Ce célèbre bosquet de Le Nôtre, créé à la demande de Louis XIV entre 1671 et 1674 puis remanié en 1704 par Hardouin-Mansart, comptait parmi les plus riches et les plus spectaculaires lieux des jardins de Versailles. Le terrain se déclinait en trois cascades entourées par des fontaines et des bassins, perspective inspirée du théâtre olympique de Palladio, à Vicence et composé sur le modèle d’un théâtre de verdure avec sa scène et son parterre. Il fut le lieu de nombreux concerts en plein air. Au XVIIIe siècle, le manque d'intérêt pour la danse conduit à la destruction pure et simple du bosquet renommé au fil des temps le bosquet du rond vert et réaménagé simplement d’arbres et de pelouses. Suivant une ligne conductrice désormais assumée de vouloir revenir au « Versailles Baroque », et au parc dans l’état et l’éclat qui étaient les siens à la fin du règne de Louis XIV, la direction du Château a donc pris le parti de ressusciter cet ancien bosquet en créant une scénographie contemporaine qui reprendrait le thème de la danse.
Un concours international a été lancé en 2011 pour proposer un projet de revalorisation avec une création contemporaine qui respecterait « les fondamentaux de l’architecture inventée par Le Nôtre ». C’est l’architecte-paysagiste et jardinier Louis Benech qui a conçu le bosquet en dégageant un vaste espace de lumière au milieu de chênes verts, et l’artiste Jean-Michel Othoniel qui a été choisi pour la réalisation des sculptures monumentales qui orneraient les trois bassins.
Dans ce théâtre de verdure où les effets d’eau jouent avec les structures végétales, il a proposé une composition baptisée « Les Belles Danses », des jets façonnés en verre de Murano et en métal, assemblage de perles dorées et bleues, très représentatif des ouvrages d’Othoniel (on a en mémoire la bouche de métro du Palais royal en face de la Comédie Française). Composées d’entrelacs et d’arabesques, ces œuvres abstraites évoquent le corps en mouvement et s’inspirent directement des ballets donnés par Louis XIV. Elles reprennent en effet les circonvolutions tracées par le maître de ballet, Raoul Feuillet, dans son ouvrage L’Art de décrire la Danse. Interprétation libre et fantaisiste de danses gestuelles comme le "Rigaudon de la Paix", ou "Bourrée d’Achille", ces chorégraphies mettent certainement en valeur l’atmosphère festive initiale du lieu. Sans être prodigieux, l’ensemble est certainement spectaculaire et s’inscrit parfaitement dans la politique de restauration des jardins de Versailles. L’entreprise a en tout cas le mérite de faire renaître ce bosquet et d’allier intelligemment l’art créatif et la référence historique, même si elle peut paraître osée. L’inauguration au printemps avec une chorégraphie réalisée par la compagnie du L.A. Dance Project et qui alliait joyeusement la danse baroque, néo-classique et contemporaine a certainement donné le ton à cette renaissance ! Le divertissement et la fête restent les maîtres mots à Versailles.