L’abandon de la Libye ou les trois amnésiques
Alors que Barack Obama vient de qualifier de « sa pire erreur » et « d’échec » la façon dont a été géré le pays après la chute de Kadhafi, suite à l’intervention militaire conduite entre autres par la France et la Grande-Bretagne, il maintient néanmoins que cette intervention était « justifiée » tout comme ses alliés européens qui refusent de remettre en cause le droit d’ingérence.
En France, trois de nos politiques, au pouvoir en 2011, refusent d’ailleurs de porter la responsabilité de cet échec cuisant.
Dans un débat entre Alain Juppé et Gilles Kepel[1], celui-ci passant son temps à geindre sur le peu d’intérêt qu’ont les politiques pour les spécialistes du monde arabe (surtout pour son humble personne) et sur le faible nombre de consultations dont ils font l’objet, le candidat aux primaires de la droite, sémillant septuagénaire et champion autoproclamé d’une « France qui bougera un jour », s’est exprimé sur la Libye. Avec un aplomb assez étonnant, et dans la lignée de ce qu’il avait avancé dans « Des paroles et des actes »[2], il a affirmé se sentir « très fier d’avoir participé à cette opération », ajoutant sur l’après-Kadhafi qu’il allait « aider les libyens à construire une nouvelle démocratie ».
François Fillon, qui a été pendant cinq ans l’aide de camps de Nicolas Sarkozy, est un peu plus nuancé puisqu’il admet que l’intervention franco-anglaise a débouché sur « le chaos ». Pour autant, c’est visiblement la faute du peuple libyen lui-même puisqu’il persiste à considérer que l’opération française en Libye était juste sur le plan moral[3] .
Quant à celui qui était leur chef à tous les deux, et qui a joyeusement paradé sur le sujet avec David Cameron, s’il pouvait s’exprimer sur le sujet pour peu que les juges lui en laissassent le temps, il est peu probable qu’il ferait la moindre critique sur cette opération. Exprimer un regret, une erreur de jugement ? Non, la consultation de son livre récent montre qu’il ne dispose d’aucun talent pour analyser ses actions et comprendre ses erreurs : ni le « Fouquet’s », ni « le yacht de monsieur B », ni les multiples propos orduriers qui lui ont échappés n’ont fait l’objet d’un petit commentaire. Nul doute en conclusion, qu’il soit également assez satisfait de ce « fait d’arme ».
Fiers donc, mais fiers de quoi au juste ?
Fiers d’avoir fait lyncher un chef d’état, dictateur il est vrai, mais assez fréquentable quatre ans plus tôt pour qu’on l’invite à Paris et qu’on le laisse planter sa tente dans les jardins de l’hôtel Marigny pendant 10 jours. En décembre 2007, Kadhafi, l’homme de l’attentat de Lockerbie et du DC-10 d'UTA, était-il moins dictateur et moins sanguinaire qu’en 2011 ?
Fiers d’avoir sauvé les insurgés de Bengazzi dont la plupart ont disparu dans la sanglante guerre civile qui a suivi notre intervention ?
Fiers d’avoir démembré un état, remplacé depuis par des baronnies guerrières dont l’une est une succursale de Daesh ?
Fiers d’avoir répandu l’arsenal de Kadhafi dans toute la région, d’y avoir dopé les groupes terroristes ectoplasmiques et d’avoir ainsi indirectement déclenché, non seulement la déstabilisation du Mali (ce qui a engendré notre intervention « sauvetage » avec la mort de soldats français), mais également de multiples attentats dont la prise d’un terminal gazier au Yémen et le massacre sur les plages de Tunis ? Comme le dit si joliment Monsieur Fillon avec son humour inconscient si caractéristique du personnage : « elle (notre intervention) aura eu pour conséquence de disloquer cet État et de métastaser le Sahel ».
Comme dirait Prosper Juppé, reprenant une chanson de sa jeunesse : « ces petites misères, seront passagères, tout ça s’arrangera ». Que penser en conscience de l'inconséquence absolue de ces trois pieds-nickelés de la stratégie diplomatique et qui ont encore l'audace de briguer le suffrage des Français?