La deuxième utopie

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La deuxième utopie

L’euro est avec Schengen et la libre circulation des biens et des services, un des trois piliers de l’utopie européenne.

Si le 13 novembre a mis un terme définitif à la faisabilité de Schengen dans l’esprit des gens raisonnables (pour ce qui est des politiques, il faudra malheureusement encore quelques dizaines ou centaines de victimes pour qu’ils se rendent à la vérité des faits), il en va tout autrement de l’euro.

L’euro est un cœur artificiel qui nous a été greffé sans nous demander notre avis, du moins sans notre consentement éclairé. De fabrication allemande, il est bien trop grand et pas assez souple, entrainant de terribles souffrances pour notre organisme. L’idée de l’ôter nous démange parfois. Mais alors par quoi le remplacer ? Certainement pas par notre vrai cœur, incinéré il y a presque vingt ans, et qui peinerait à sortir de ses cendres. Ici, comme dans beaucoup de situations, la difficulté ne tient pas dans la décision, mais dans sa réalisation :  tout est dans l’exécution pour paraphraser Napoléon[1].

Madame Le Pen, qui après avoir fait prospérer avec un certain talent la petite épicerie démagogique héritée de son père, cherche maintenant à se fondre dans la bienséance politicienne. D’ailleurs, elle n’obtient rien moins qu’un parfait ridicule quand il s’agit d’aborder ce sujet qui est devenu un sujet phare de son programme économique : la suppression de l’euro.

Car cela est tout simplement impossible (à court terme du moins), et ceci pour deux raisons à mon avis.

  • D’abord, parce que l’euro a été précisément conçu comme un processus irréversible. Rien n’a été prévu pour permettre une sortie simple et indolore de la zone euro. Au contraire, les dettes étant libellées en euro et aucun mécanisme de solidarité transitoire n’étant prévu pour les sortants, la France devrait faire face, en plus des conséquences de la chute de sa monnaie, à l’accroissement énorme de sa dette. Et ce n’est qu’un exemple. Un très grand nombre de chausse-trappes et de petits pièges font obstacle à une volonté de sortie. Nous avons donc intégré un processus machiavélique que Yves Thibault de Silguy avait bien résumé en son temps avec cette phrase dont il ne sembla pas maîtriser la portée kafkaïenne : « l’euro est une autoroute sans sortie » (interview au journal Le Monde, janvier 1999).
  • En second lieu, et cela ne vient pas d’un petit bureaucrate de Bruxelles, mais seulement de nous-même et de nos turpitudes, les dettes sous lesquelles nous croulons, le montant de nos dépenses de fonctionnement et l’obligation dans laquelle nous sommes de recourir perpétuellement à l’emprunt, nous interdisent de penser à une sortie. Nous sommes incapables de tenir nos finances, principalement parce que nous avons des dépenses sociales colossales et des effectifs de fonctionnaires pléthoriques. Toute sortie de l’euro signifierait une augmentation des taux d’emprunts que ne pourrait pas supporter le pays et qui le conduirait au défaut de paiement, ou pour être plus clair, à la banqueroute. C’est bien en ceci que le programme du Front National ne peut être considéré que comme pure plaisanterie.

On trouve parfois des interlocuteurs pour citer le paiement de l’indemnité de guerre à la Prusse en 1871 qui avait été faite en un temps record. Outre le fait qu’il convient de saluer là des connaissances historiques qui font défaut à beaucoup de nos professionnels de la politique, il faut bien voir qu’il s’agit d’une vérité historique qui a presque 150 ans et que ce phénomène s’est produit après 40 ans de prospérité en France (les règnes de Louis-Philippe et de Napoléon III) ; aujourd’hui, nous sommes en 2016 et nous avons connu 40 ans de mauvais gouvernement !

Ne cachons pas pour autant la face hideuse de l’euro ; clairement, en se mettant de facto dans le même espace que l’Allemagne, nos politiques ont reproduit ce qui s’est passé en Italie au XIXe siècle. Mais alors que les Bourbon-Parme, branche décadente de notre propre dynastie, s’étaient donnés la peine de conduire une guerre et de la perdre, nos dirigeants se sont contentés de signer un pauvre traité. Nous jouons 150 ans plus tard la même pièce, et elle aura les mêmes conséquences pour nous que ce qui s’est passé pour le Mezzogiorno : une destruction complète et définitive de son économie. Il ne restera de la France qu’un espace de détente pour l’Allemagne. Qu’on se promène dans les paysages charmants et lumineux, mais fantomatiques de la Campanie, du Basilicate ou des Pouilles et nous y verrons une préfiguration de nos régions futures...

Si l'on prend le temps de regarder les chiffres, le début du décrochement date de 1999, l’euro diaboliquement couplé avec une persévérance des 35 heures ont au même moment détruit notre compétitivité. Alors oui, il faut sortir de l’euro, mais il faut en sortir comme on s’évade d’un camp de concentration, pas comme on quitte un hôtel pour rentrer chez soi. Il faut préparer notre évasion méthodiquement et en premier lieu, relever nos finances, mettre fin à notre dépendance envers les marchés financiers. Sans cela, il n’y a que rêve et utopie ; et au bout du chemin, la destruction du pays.

 


[1] « La guerre est un art simple et tout d'exécution », écrit Napoléon.

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