Un arriviste bien arrivé

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Un arriviste bien arrivé

L’arrivée imminente de Jean-Jacques Barbéris, collaborateur de la Présidence et « conseiller pour les affaires économiques et financières nationales et européennes »[1], au sein de la direction d’Amundi a provoqué un léger frémissement dans la sphère médiatique. Ce jeune fonctionnaire qui n’a aucune expérience de la banque ou de la finance, ni aucun savoir-faire particulier, intègre en effet cette entreprise pour un modeste salaire annuel d’« environ 400 000 euros »[2].

Nul doute que le management de cette filiale du groupe Crédit Agricole, elle-même côtée sur Euronext depuis l’année dernière (présente dans le SBF 120), n’ait procédé à une évaluation rigoureuse de ce profil de choix et du retour sur investissement qu’il obtiendra en regard des 600 000 euros annuels (salaire et charges) ainsi dépensés. Connu pour sa rigueur de gestion, le management d’Amundi et son chef, Yves Perrier, ne sont pourtant pas des débutants pour acheter un sac de plomb au poids de l’or eux qui sont connus pour pressuriser les sous-traitants et se délester des cadres qui ne leur donnent plus satisfaction. S’ils ont procédé à ce recrutement, c’est qu’ils comptent bien en tirer parti. Mais lequel ? Si on ne doute pas des qualités intellectuelles de ce brillant cerveau, on ne peut nier, quand on considère la nullité de l’expérience, qu'il y a quand même des esprits tout aussi brillants qui sont disponibles pour le quart de la somme. Reposons-nous alors la question : quel intérêt ? Garder peut-être simplement sa place ? Ne pas déplaire à « l’allocataire du château » (pour encore 13 mois) qui est indirectement le représentant de l’actionnaire de référence du Crédit Agricole. La coercition est d’autant plus efficace qu’elle est  ici implicite.

Le pantouflage, manœuvre qui consiste à « recaser » ses serviteurs méritants avant les temps difficiles au dépend du contribuable et du pays en général (car c’est bien au dépend des entreprises qui sont obligées d’héberger des fonctionnaires incompétents à prix d’or), est une tradition aussi vieille que la République et l’a même précédée. Que François Hollande, qui montre d’ailleurs par-là que « la finance n’est plus son ennemie », renie une promesse de plus en renouant avec cette pratique ne doit pas nous surprendre, ni d’ailleurs nous affliger... seuls les naïfs peuvent encore espérer quelque chose de l’ex-président du Conseil Général de Corrèze. Et entendons-nous bien, nous n’avons rien contre les gens qui gagnent 400 000 euros par an, ni d’ailleurs contre ceux qui gagnent dix ou vingt fois plus, mais à condition que cela représente une réalité économique et non un passe-droit ou une faveur présidentielle, ce qu’en d’autres temps on appelait « le fait du prince » ; il nous semble en effet que c’est précisément contre ces pratiques que s’est faite la Révolution de 1789, que « tel est mon bon plaisir » est une phrase qui a susciter une violente antipathie parmi les vrais républicains.

Ces pratiques où les considérations économiques sont bafouées, où l’éthique des affaires est foulée au pied (car oui, le capitalisme a une éthique, encore faut-il la connaître) dégradent la France, la font passer aux yeux du monde, et en particulier des anglo-saxons et des européens de vieille tradition protestante, comme un pays de seconde zone, une république bananière. Sur le fond, quelle est la différence entre prendre de l’argent dans la caisse et donner un salaire important à quelqu’un qui ne le mérite pas ? Quelle est la différence entre un emploi fictif et un salaire fictionnel ?

Il serait trop simple de traiter, pour misérable qu’il soit, ce petit exemple par le mépris et se contenter d’en ricaner ; il faut stigmatiser ces pratiques et y mettre un terme avec effet rétroactif.

 

[1] « Amundi accueille le conseiller économique de l'Elysée », Les Échos, 04/04/2016

[2] « Vive Bercy! Servons la cause! Servons-nous… », Mediapart, 27/03/2016

Publié dans Histoire-Politique

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