Docteurs en solde

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Docteurs en solde

Il est en ce moment bien plus facile de recruter un docteur en physique nucléaire ou en chimie qu’un développeur de site web ; n’importe quel chef d’entreprise du domaine informatique peut le confirmer. La raison en est simple : il n’y a pas d’emploi dans la recherche alors qu’il y a en ce moment une efflorescence de startups, grandes consommatrices de sites internet. Il paraît évident que l’avenir d’un pays et, n’hésitons pas, de l’humanité repose plus sur les épaules des développeurs web que sur celles des chercheurs en physique, chimie ou mathématiques, de même qu’il est très sain que ces derniers deviennent traders ou « quants[1] ».

Que la recherche soit, en tant que telle, un secteur sinistré comme ont pu l’être la sidérurgie ou le textile ne devrait pas nous laisser indifférents, et moins encore, sans réaction.

Que se joue là une grande part de l’avenir d’une nation, ne devrait pas faire débat.

Que l’État y ait un rôle primordial, en particulier sur la recherche fondamentale, sur les programmes de long terme, sur les initiatives les plus dérangeantes qui ne pourront trouver de rentabilité à court terme et ne retiendront jamais l’attention de financiers, tout cela tombe aussi sous le sens.

Et pourtant…

Les chercheurs, formés par huit ou dix ans d’études, lassés d’enchaîner les emplois « post-doc », genre de petits boulots, de CPE de la recherche, payés deux fois le SMIC, fatigués des labos sans moyens, sans ambition, sans remise en cause, finissent par quitter en masse le domaine de l’innovation pour devenir, qui informaticien, qui spécialiste des risques et pour certains traders. Et s’ils trouvent un poste c’est le plus souvent pour se retrouver dans les méandres du CNRS, sous les ordres d’un chercheur en poste depuis des années qui n’a jamais rien trouvé et dont le labo finit par porter le nom (si ce n’est réellement du moins dans les esprits). Avec cette politique, alliant la précarité et l’immobilisme dans ce qu’ils ont chacun de plus odieux, et qui est poursuivie depuis des années, le constat est sinistre ! On voit bien que les multiples « sauver la recherche » n’ont rien sauvé du tout.

Et des centaines d’exemples peuvent attester de cela. Un seul suffira. Alors que je discutais il y a peu avec un jeune physicien évoquant le photovoltaïque comme un domaine d’avenir (la mode de la transformation énergétique aidant, il parait logique d’essayer de faire des panneaux solaires plus légers, moins chers, plus endurants, et même d’en faire des films transparents pour les vitres de nos immeubles), il me répondit tranchant : « oui, c’est vrai c’est un secteur passionnant, mais pas ici, en Chine ou aux Etats Unis, ici on a dix ans de retard. On leur achètera leurs panneaux quand ils seront au point, mais on n’inventera rien ici ». Après une résistance désespérée, je dus battre en retraite et convenir humblement qu’il avait raison.

Comme le dit Jean Tirole dans son dernier livre, La France se ment à elle-même[2]. Elle se ment ! Elle affecte de croire l’autarcie possible, elle croit à l’assistanat pour tous et par tous, elle croit au miracle à venir qui prend des noms différents suivant les époques (avant souvent de se métamorphoser en menace) : Europe, croissance mondiale, Euro… ce miracle qui lui permettra de se retrouver en pleine forme, débarrassée de son cancer, sans avoir rien subi de douloureux. Ce faisant, les budgets de fonctionnement asséchant tout, la France n’investit plus dans la recherche, elle laisse dépérir ses chercheurs, elle désespère sa jeunesse.

 


[1] Analystes de marché, en particulier sur les risques où les compétences avancées en statistiques sont très utiles.

[2] Jean Tirole, Economie du bien commun, PUF

 

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