Doit-on dire la vérité ?
La brusque sanction disciplinaire dont a fait l’objet le Général Soublet[1], et qui avait été précédée de sa promotion/éviction dix-huit mois plus tôt, le limogeage ayant pris les couleurs chamarrées de l’Outre-Mer, aura permis de démontrer deux choses :
- D’une part, il existe encore des hommes courageux en France, même dans l’armée et même au sein de la Gendarmerie où le respect des ordres et le culte de la hiérarchie peuvent venir à bout des caractères les plus trempés. Et ceci est en soit une bonne nouvelle !
- D’autre part, la stratégie de distribution massive d’anxiolytiques à tous les étages de l’hôpital France, et la destruction systématiques de tous les stéthoscopes, thermomètres, électrocardiogrammes et de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à un instrument de mesure permettant d’évaluer l’état des patients se poursuit avec la plus extrême rigueur ; c’est même la seule action qui vaille.
En effet, que reproche-t-on en fait au général ? Si ce n’est d’avoir, de sa voix de ténor léger, asséné devant la représentation nationale (pour les besoins d’une commission d’enquête, simple distraction dont le rapport final n’avait pour destination que d’être rangé « avec les autres » sans plus d’effet) quelques vérités qui pour n’être en rien des révélations ont tout de même réussi mettre en rogne le gouvernement. À savoir en l’occurrence :
- Que la politique du chiffre (du résultat numérique) est une catastrophe,
- Que les post-soixante-huitards du ministère de la Justice pourrissent la politique pénale et bafouent l’égalité des citoyens (et foncièrement celle des délinquants) devant la loi,
- Que la délinquance des mineurs et son traitement par de vieilles lois et de vieilles mentalités est à la fois catastrophique et porteuse de problèmes bien plus grands encore.
En 2013, Ayrault voulait la peau de l’imprudent général qui n’avait eu qu’une mutation brimatoire ; en 2016, l’immarcescible François Hollande l’a eue.
Réformer la justice, en nettoyer les placards rances, avoir une politique pénale digne de ce nom, à la fois juste, rigoureuse et efficace, s’occuper sérieusement des mineurs qui prennent le chemin mortel de la délinquance, mettre fin à cette stupide culture du chiffre qui fait qu’on passe plus de temps sur des délits bénins (eux-mêmes absouts par la justice) qui produisent des résultats numériques immédiats plutôt que de s’attaquer au terrorisme ou au grand-banditisme qui réclament des enquêtes longues, difficiles et peu rentables ; tout cela est tellement plus complexe pour le président que d’envoyer un lanceur d’alertes voir ailleurs si il y est.
Le silence des membres de la fameuse commission Théodule, devant laquelle s’était exprimé le général, est d’ailleurs très instructif. Cette culture du déni est bien ancrée dans la caste des petits apparatchiks qui tiennent les postes gouvernementaux dans une alternance toute formelle. Monsieur Juppé est à ce titre fidèle à son « éthique » (au sens premier de comportement) qui le fait toujours se ranger du côté du manche[2]. Pour lui, un ministre doit se taire (mais comme Monsieur Juppé tient à montrer qu’il peut encore produire de la testostérone, il le dit avec plus de fermeté : « Un militaire, c'est comme un ministre : ça ferme sa gueule ou ça s'en va »[3]). Il devrait en aller de même pour un militaire, pour un haut fonctionnaire, pour un policier et ainsi de suite. Si bien qu’on arrive à un paradoxe amusant où ceux qui savent quelque chose ne peuvent s’exprimer et que les seuls à pouvoir le faire sont les professionnels du verbe (les Zemmour, Onfray et autres) qui eux ne savent finalement pas grand-chose et sont réduits à colporter opinions et rumeurs. Les politiques quant à eux appliquent la loi du silence et la font respecter : il se trouve toujours un Hollande pour assassiner ceux qui parlent et un Juppé pour l’aider à faire disparaitre le cadavre.
Il n’en allait pas autrement dans feu l’URSS.