Le salaire des patrons

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Le salaire des patrons

En mal de reconnaissance, pris entre un ministre de l’économie médiatique et un président qui s’accroche, le Premier ministre semble ne plus vouloir lâcher ce sujet. Amendement à la loi Sapin, ou loi de  circonstance, il ne laissera pas sans solution un problème qu’il veut rendre important et qui est, paraît-il, suivi par l’opinion.

Que les émoluments des stars du football et du sport en général, comme ceux des grands acteurs, même si leurs entrées sont bien faibles, soient supérieurs à ceux des grands dirigeants d’entreprise, ne choque personne. Il n’y aura pas de lois sur les joueurs de football, tout au plus une remontrance quand, pour conduire leur voiture à 300 000 euros (je ne parle pas de celles qui valent 2 millions d’euros), ils utilisent un faux permis de conduire ou qu’ils se laissent aller à une tentative d’escroquerie menée par un ami d’enfance avec lequel ils sont restés en relation. D’une certaine façon, tout le monde semble comprendre, ou du moins admettre, qu’avec le foot il n’est d’autre morale qu’une pure déontologie professionnelle, et que si l’on veut des résultats sportifs il faut des grands joueurs qui se payent très cher.

Mais avec les patrons… c’est malheureusement la même chose. Qui peut croire dans une économie mondialisée qu’on peut légiférer ici sans le faire également à Londres, à Amsterdam ou à Frankfort ? Qui peut refuser que maintenant la richesse soit nomade et qu’il faille prendre ce fait comme une contrainte de tout raisonnement politique ? Il en existe toujours et le Premier ministre fait partie de ce groupe, assez semblable à celui qui pensait qu’un nuage (de plus, radioactif) pouvait s’arrêter à une frontière. Ce serait si simple pourtant. À regarder agir (ou plus exactement tenter d’agir) ce gouvernement, on a parfois l’impression de se retrouver en compagnie du scénariste de « Goodbye Lenin », film allemand où le héros reconstitue l’Allemagne de l’Est pour agrémenter les derniers instants de sa mère. À force de croire que c’est possible, il est possible que cela le devienne…

Mais c’est faux. Le réel est toujours plus fort que le discours, « les faits sont têtus », disait de Gaulle. Il ne se passera rien, comme d’habitude.

Cela dit… le problème n’est pas là. Le monde économique a radicalement changé au cours des 20 dernières années. Le patron d’une grande entreprise n’est plus comme par le passé le premier des employés de l’entreprise qu’il dirige ; il est le mandant des actionnaires. Le vice-roi de Naples n’a jamais été un napolitain, il fut selon les époques (la vice-royauté a tout de même près de deux siècles et demi) un noble flamand, un grand d’Espagne (comme le fameux Rodriguez Ponce de Léon toujours détesté à Naples), un prince italien ou autrichien qui servait avant toute chose les intérêts de son suzerain. Il n’en va pas autrement des grands patrons d’aujourd’hui ; aussi est-il non seulement faux, mais absurde, d’imaginer que leur salaire puisse être un multiple de celui des autres salariés, leur salaire est un pourcentage des gains qu’ils procurent aux investisseurs.

Il y a 20 ans, un grand patron œuvrait pour les intérêts de l’entreprise dont il avait la charge et l’honneur de diriger (on peut se souvenir avec une certaine nostalgie de Pierre Dreyfus disant qu’il serait prêt à payer pour diriger la régie Renault tant la mission était passionnante) ; aujourd’hui, il crée de la valeur pour les actionnaires, ce n’est pas tout à fait, et pas toujours, la même chose. Il est alors permis de se demander si l’entreprise « personne sociale » est encore un concept opérant, si elle a encore une existence autre que légale ou comptable ; car avec la fin de l’être social de l’entreprise, c’est tout un ensemble civilisationnel qui disparaît, telle la culture d’entreprise.

Le cas de Patrick Kron est sur ce point emblématique. Voilà un patron qui pendant une bonne partie de son mandat n’a eu d’autre ambition que de vendre la division Energie de son entreprise Alstom (ce qui représentait tout de même 70% du chiffre d’affaire). Sans porter de jugement moral, il ne s’est pas comporté autrement qu’un liquidateur judiciaire démembrant une entreprise au mieux des intérêts des débiteurs et actionnaires (qui ne sont finalement que des débiteurs subalternes) ; la seule différence étant que c’était « son entreprise » et qu’elle n’était pas en liquidation. Rares sont les zèbres qui se précipitent volontairement au sein d’un groupe de lions pour se faire dévorer. C’est pourtant ce qui s’est passé avec Alstom. Et cette trajectoire n’est pas absurde si l’on considère que le « patron » n’a jamais travaillé pour l’entreprise (qui le payait pourtant), pour en assurer sa croissance et sa pérennité comme de tout autre organisme vivant, mais qu’il a au contraire servi les actionnaires qui n’avaient confiance ni dans l’entreprise ni dans ses employés, et qui furent bien heureux de s’en débarrasser à bon compte. Cela aurait d’ailleurs dû valoir au « patron » une très substantielle prime.

Vivendi n’a pas agi différemment en cédant SFR à Altice. Et de façon générale, il n’en va pas autrement quand un fonds d’investissement prend le contrôle d’une entreprise, en gère de fait pendant quelques années la stratégie, finance sa croissance (la plus souvent externe) et la consolide pour finalement la revendre. Est-ce si différent de l’activité d’un paysan du Périgord qui achète des canards, les engraisse et va les vendre au marché ?

Le « patron » ainsi défini peut-il prendre en charge le devenir de l’entreprise et, pour partie, celui des salariés ? N’est-ce pas un problème qui mérite un peu plus de réflexion que le montant d’une prime ou d’un salaire ?

 

 

 

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