Leviathan
Le fondement d’un État, c’est la sécurité apportée aux habitants de l’espace qu’il régit, que ceux-ci soient sujets ou citoyens. Le Léviathan est mis en scène par Hobbes pour signifier cette puissance de l’État qui lui permet de mettre la fin à la guerre du tous contre tous, à la loi de la jungle. Quand on regarde avec attention le célèbre frontispice de l’édition originale, on constate que non seulement la créature dispose d’une épée et d’une crosse (ce qui en fait ce Dieu puissant qui sera décrit plus loin en détail), mais qu’au surplus il est constitué d’une multitude de corps humains.
Cet État basé sur le contrat fait passer la civilisation de l’« homo homini lupus » à l’ « homo homini deus ». C’est la raison de la crosse. À un dieu céleste au nom duquel il est loisible de se quereller et qui laisse place à toutes les confrontations d’opinion, Hobbes substitue un dieu terrestre qui apporte l’ordre, la sécurité et la paix. Ce dieu-là n’a rien de transcendant, rien d’idéal, il est moins beau que l’autre et on ne lui construira pas de temples ou d’églises, mais on ne se battra pas non plus pour savoir s’il est vrai, omniscient, omnipotent, trinitaire ou si tel ou tel prophète autoproclamé lui a vraiment parlé. Ce n’est pas un hasard si ce texte a été écrit au milieu du XVIIe siècle à une époque où, partout en Europe, la douleur des guerres civiles, religieuses ou pas, était présente dans les chairs ou dans les mémoires. Il était clair alors que la disparition de l’État c’était d’abord des meurtres dans les campagnes, des viols, des incendies, des famines, de la misère. Il était évident que l’armée et la police n’étaient pas des éléments de décors, ou des vieilles institutions détestées, mais le fondement même de la civilisation, leur condition nécessaire.
Chaque période de guerre nous ramène à cette considération de bon sens, chaque longue période de paix nous en éloigne. Les CRS-SS de 68 étaient le fait de jeunes bourgeois indolents qui ne savaient certainement pas ce qu’était un SS et avaient été trop heureux dans leur enfance pour savoir avec quelle rapidité les hommes du gué désertent la cité lorsque les loups en prennent possession. La sécurité, tant extérieure qu’intérieure, n’est donc pas un des attributs de l’État, elle est sa raison d’être.
Que constate-t-on aujourd’hui ? En premier lieu, l’État et singulièrement le nôtre, a progressivement étendu son domaine d’action au point que sa mission fondamentale s’est diluée dans un grand nombre de détails qui lui font perdre son sens. Il n’est pas utile de s’étendre sur ce point, un exemple parfaitement ridicule suffira : l’État a financé (avec 115.000 euros de subventions) le dernier album de Johnny Hallyday (avatar médiocre d’Elvis Presley qui, à 70 ans passés, n'a toujours pas composé ni écrit la moindre chanson). Est-ce la mission de l’État de financer (avec l’argent public) les activités de ce personnage multimillionnaire qui a quitté la France depuis longtemps ?
En second lieu, pour financer ces innombrables nouvelles missions, l’État a non seulement contracté des dettes considérables, mais encore il a rogné les budgets liés à la sécurité ; en particulier, il a considéré dans les 15 années écoulées, l’armée comme une variable d’ajustement budgétaire.
En fin, force est de constater que l’État n’assure plus la sécurité des citoyens ni dans les grands événements : la France est aujourd'hui le troisième pays au monde le plus touché par le terrorisme islamiste. Avec plus de 230 morts recensés ces 18 derniers mois, l'hexagone est en effet passé devant des pays comme l'Afghanistan ou la Somalie !
Cela est vrai pour les petites choses : un mort à Beaumont-sur-Oise et c’est pendant des jours et des jours des émeutes nocturnes avec incendies criminels et dégradations multiples sans que l’État fasse autre chose qu’observer. Et pour couronner le tout, ça se termine par une marche blanche où certains osent porter des pancartes « black lives matter » comme si on était aux USA et comme si cela n’était pas une offense aux 88 morts de Nice ou au 130 de novembre (qui ont été assassinés sans distinction de couleur de peau, de sexe, de religion ou d’âge). Et que dire des policiers attirés dans des embuscades en Seine-Saint-Denis ou ailleurs ; il ne se passe pas une semaine sans qu’il y ait un cas.
Une question se pose, fermement, calmement, froidement : la République française est-elle encore un État ou en est-elle simplement le fantôme comme le furent l’Empire romain à partir du Ve ou l’Empire byzantin après le XIIIe siècle ? Et nous ? Que sommes-nous ? Allons-nous continuer à nous préoccuper du programme des Jeux comme ces Romains
arrivant à Carthage après le sac de Rome (410) et dont se moque justement Saint-Augustin?.Ou allons-nous nous comporter comme des hommes ?