le courage de la vérité

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le courage de la vérité

S’il y a un livre essentiel dans l’oeuvre de Michel Foucault, c’est certainement son dernier opus, la transcription de son dernier cour du Collège de France: le Courage de la vérité. Foucault s’y montre incisif comme à son habitude mais renouvelant sa pensée par le retour à la Grèce, il acquiert une clairvoyance extraordinaire. Il dégage le concept de dire-vrai, de franc-parler. Le dire-vrai ne se cantonne pas à une théorie du vrai, à la logique, à l’épistémologie; c’est une pratique, dire le vrai, c’est aussi dire le désagréable, le déplaisant, toute vérité n’est pas bonne à dire. Le dire-vrai engage le locuteur, le met en jeu, lui fait prendre des risques. Le dire-vrai lie le discours au locuteur. En ceci, il s’oppose par nature à la rhétorique (et à la sophistique) qui est l’art de bien dire sans adhérer à son discours. C’est bien la distance qui sépare Gorgias de ses propres paroles dans le dialogue de Platon où celui-ci finit par admettre qu’il ne cherche qu’à persuader son interlocuteur de choses qu’il ne sait, ni même ne tient pour vraies. Il est indifférent à la valeur de son discours et n’en voit que l’efficacité. Le dire-vrai au contraire suppose que le locuteur adhère à son discours et en assume toutes les conséquences.

Ainsi Foucault arrive à deux conclusions très éclairantes : le dire-vrai est indissociable de la vie philosophique, il est indissociable aussi de la démocratie.

Pour acérée qu’elle soit, la pensée de Foucault est un bon guide dans ces moments difficiles où les repères s’effacent et où les références solides sont peu nombreuses.

A Aubervilliers, dont l’ancien maire est Jack Ralite, homme éminemment respectable, dans une ville qui n’est certes pas un endroit où la politique a été déshonorée par l’ignominie d’un édile, un homme, chinois ou d’origine chinoise a été roué de coups et est mort des suites de ses blessures. Le journal Le Monde, dans un long article s’afflige de ce drame qui est loin d’être le premier, il parle même de la sourde colère des « chinois d’Aubervilliers »[1] mais les coupables de ce meurtre ne l’intéressent pas. De façon générale, la presse ne parle pas des assassins. Le Figaro s’intéresse lui aussi à cet événement[2] pour s’étonner de l’absence de réaction des institutions commises à l’antiracisme. En effet ni la Ligue des droits de l’homme, ni touche pas à mon pote, n’ont fait la moindre intervention sur le sujet. Nous avons entendu tout l’été le slogan « black lives matter », nous avons même vu une petite pancarte ainsi libellée dans des manifestations à Beaumont-sur-Oise, ou à Paris[3] doit-on comprendre que « yellow lives do not matter » ? Ou bien doit-on donner une définition plus exacte, plus expérimentale (même si elle est conceptuellement choquante) du crime raciste : un crime raciste, c’est un crime commis par un blanc, sur la personne d’un non blanc, toutes les autres combinaisons ne pouvant être considérées comme des crimes racistes.

D’ailleurs, c’est vrai, ce n’est pas un crime raciste, c’est un crime crapuleux dans tous les sens de l’expression et au plus profond sens du terme. Un crime commis par des crapules pour des motifs crapuleux.

Mais qui produit ces crimes récurrents à Aubervilliers ? Le Figaro parle de racailles, n’est-ce pas un euphémisme, une figure allégorique, un dire pour ne pas dire. C’est le moment de se rappeler au dire-vrai, au franc-parler. Les auteurs de ces crimes multiples, récurrents, tout le monde les connait, les habitants d’abord qui sont leurs victimes, les édiles qui vont régulièrement consoler les premiers, les policiers et les juges qui traquent les coupables, les journalistes qui font des articles larmoyants, les politiques qui passent de ci, de là. Beaucoup de gens savent, personne ne parle franchement du sujet. Les auteurs de ces multiples crimes sont des jeunes issus de l’émigration nord-africaine ou sub-saharienne. Ils s’en prennent aux chinois pour deux raisons. D’abord parce que leur taille moyenne est plus faible que la moyenne nationale. En ceci, les agresseurs se comportent comme tout prédateur, ils attaquent les faibles. Ensuite, les chinois sont réputés travailleurs, industrieux, commerçants. En d’autres termes, ils sont supposés avoir de l’argent. D’une certaine façon, la cartographie ethnique des agresseurs les rangent à peu près au même endroit que les juifs.

Si tant de gens savent tout ça, pourquoi n’en parlent-ils pas ? Deux raisons sont généralement avancées : en premier lieu, il n’y a pas de statistiques « ethniques » en France, en second lieu, « ça ferait monter le Front National ».

Les statistiques d’abord : en quoi, ne pas disposer des relevés de températures depuis un siècle sur la côte d’azur, interdit il de lire un thermomètre à Marseille ? L’absence de statistiques ne s’oppose en rien à ce qu’on puisse constater et informer sur ce qui se passe à Aubervilliers.

La montée du FN ensuite : c’est l’argument le plus drôle qu’on puisse imaginer. Avec tout ce qu’on s’interdit de penser, dire ou écrire pour éviter cette montée, avec tout ce qu’on fait, dit ou profère pour la repousser, il est vraiment incompréhensible que ledit FN ait atteint un tel niveau. Heureusement que nous avons fait tout ce que nous avons fait et tu ce que nous avons tu, sinon il aurait depuis longtemps passé la barre des 80% ! Ou bien, c’est l’inverse qui est vrai. Et si cette fameuse montée du FN était non pas ralentie mais au contraire favorisée par l’omerta, par le déni, par les discours lénifiants, par le dire-faux, le fourbe-parler. Cette fameuse montée ne peut-elle se comprendre comme une réaction du bon sens populaire face aux sornettes qu’on nous raconte depuis des années ? A force de nier les problèmes, que les gens constatent, à force d’expliquer qu’il n’y a rien à voir, que tout va bien, beaucoup de gens simples, droits, en ont tout simplement assez d’être bernés par des rhéteurs, des gens qui fondamentalement n’ont que faire de ce qu’ils disent mais parlent seulement pour leurs intérêts. Même si, ce faisant, ils vont vers d’autres rhéteurs qui ne valent pas mieux que les premiers, ils disent à ces derniers qu’ils en ont assez d’être pris pour des imbéciles.

Nous avons besoin de parler-vrai, si désagréable à entendre soit-il ! Il faut dire la vérité non seulement pour contrecarrer la fameuse montée mais surtout pour sauver ce pays. La vérité, le dire-vrai n’est pas un accessoire commode de la démocratie à utiliser quand les barbares sont à nos portes, la vérité est consubstantielle à la démocratie. L’abandon de la vérité, c’est la mort de la démocratie.

Certain choisissent le mensonge par omission pour protéger la démocratie. En choisissant la voie du mensonge, ils ne la sauvent pas, ils en sont les fossoyeurs. Le mensonge est la voie des lâches, le courage de la vérité est la voie de la vertu.

[1] http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/08/14/aubervilliers-mort-d-un-chinois-apres-une-agression_4982593_3224.html

[2] http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/08/15/31001-20160815ARTFIG00069-violence-anti-asiatique-o-sont-passes-les-antiracistes.php

[3] Un millier de personnes se sont rassemblées, samedi 23 juillet, devant la fontaine des Innocents à Paris (1er arrondissement), à l’appel du collectif « Black Lives Matter France » (le Monde 24 juillet 2016)

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