Notation italienne
On ne négocie pas avec le réel
Cela n’a pas fait les gros titres des journaux, cela n’a même pas eu l’honneur des revues de presse mais l’annonce par la peu célèbre mais sérieuse agence de notation DBRS d’une possible révision de la note souveraine italienne est pourtant la principale information de la semaine.
Que se passe-t-il ? « DBRS a dit avoir décidé de revoir la note en dehors de son calendrier habituel à cause des incertitudes politiques autour du prochain référendum sur la Constitution, des pressions actuellement subies par les banques, de la fragilité de la reprise économique et d'un environnement extérieur moins stable »[1].
La situation difficile des banques italiennes est connue, le gouvernement italien n’y peut rien, il doit faire avec.
Le référendum a pour objet de transformer le Sénat de la République italienne en un « Sénat des Régions », composé de 100 sénateurs, principalement par des conseillers régionaux et des maires. Il s’agit en fait de donner plus de stabilité au gouvernement. Comme disait François Mitterrand dans le coup d’état permanent, les réformes constitutionnelles sont le divertissement favori des politiques, cela ne parait donc pas très important, mais c’est malvenu dans le contexte et cela crée des incertitudes.
La fragilité de la reprise économique est une expression convenue qui veut dire qu’on n’a pas une idée très claire de ce qui va se passer dans les prochains mois.
L’environnement extérieur moins stable, ça en revanche c’est clair. C’est le Brexit. Là non plus le gouvernement italien n’y peut rien. Le Brexit est un événement imprévisible, inattendu et très peu probable. Que Cameron ait jugé bon pour des raison de gestion interne de son propre parti de lancer son pays dans un questionnement ontologique, que le processus lui ait échappé, qu’il ait été trahi par son petit camarade etonien, qu’il ait été abandonné par sept de ses ministres, que les travaillistes aient mené une campagne calamiteuse et que pour finir l’Angleterre ait décidé de donner une leçon à Londres, à la City et à Bruxelles, tout cela Matteo Renzi n’y est pour rien, mais il en paie les conséquences, comme tout le monde.
La conjonction d’un problème de fond (les banques), de problèmes circonstanciels (une réforme inopportune, une reprise « molle ») et d’un événement tout à fait inattendu (le brexit) entraine la révision d’une note qui elle-même va entrainer la révision de toute la dette italienne. En effet, DBRS étant la dernière agence à classer la dette italienne en « investissement », ce déclassement entrainera une modification des taux auxquels la BCE peut prêter à l’Etat italien. Le gouvernement italien a réagi vivement et « joue le règlement » (DBRS a communiqué en dehors des fenêtres prévues), mais cela aura autant d’influence que la gesticulation des joueurs de football contre lesquels l’arbitre a sifflé un pénalty. Si cette note est confirmée dans trois mois, l’Italie devra faire face à une crise financière importante.
Rappelons-nous maintenant qu’il y a en France de bonnes âmes qui nous disent que l’argent est bon marché, qu’on peut emprunter à des taux très faibles, qu’il faut relancer, que seul une inflation contrôlée permettra d’apurer les dettes. Ces bonnes âmes ne sont pas seulement des politiciens professionnels dont la responsabilité n’est pas la culture et que la confrontation aux réalités ennuie profondément, ce sont aussi des économistes patentés. Nous avons-nous aussi des raisons de fonds (notre endettement colossal, nos déficits importants tant sur le budget que sur la balance des paiements), nous avons-nous aussi des difficultés de circonstance (faible croissance, gouvernement qui fait rire la planète, terrorisme) et nous pouvons nous aussi être emportés par un « événement inattendu ».
Ces événements peu probables sont souvent négligés. Pourtant « ils arrivent » et transforment alors des faiblesses latentes en crises majeures. C’est l’explication de la plupart des crises financières et des effondrements d’empires financiers. L’événement inattendu, met à jour les failles d’un système et cette révélation abat le système.
Croire que tout ira bien, qu’on a une bonne étoile, ne marche jamais. Il faut au contraire travailler à résoudre les problèmes de fond (endettement colossal, déficit budgétaire, balance des paiements, désindustrialisation, exode des fortunes) pour éviter que les circonstances ne nous fassent le jouet d’un événement improbable.
[1] http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/l-agence-dbrs-se-hate-de-placer-l-italie-sous-perspective-negative-591248.html