Paresseuse et prétentieuse
Quoi de plus juste pour qualifier ce service de l’Etat parmi les pires : la justice.
Prétentieuse, orgueilleuse, vaniteuse elle ne se montre jamais si ferme que lorsqu’elle se sent elle-même attaquée ou pire encore, moquée. L’ordre public peut être bafoué, les assassins courir les rues, les cadavres joncher les boulevards, elle ne dérogera pas à son code de procédure ni à ses prérogatives, mais qu’on ose critiquer un juge et le glaive vengeur sortira promptement du magasin des accessoires pour se dresser menaçant.
Si elle remet en liberté un danger public qui quelques semaines plus tard égorgera un prêtre, c’est par manque de place dans les prisons, ce n'est pas parce que le juge des libertés qui a prononcé l’élargissement manque foncièrement de formation sur l’éthique des conséquences, et plus prosaïquement de conscience, si elle oublie de convoquer un terroriste potentiel, c’est par manque de moyens, ce n'est pas par manque de professionnalisme. Jamais aucune erreur dans ses actions, saufs les sacrosaintes erreurs de procédures, jamais un incompétent dans ses rangs. Et quand décidément un juge en fait trop, au point que même parmi ses paires, il est indéfendable, une mutation providentielle aux allures de promotion vient mettre fin à son fâcheux parcours (un mot célèbre suffit: Outreau).
Un système parfait, peuplé de gens parfaits, qui du moins ne cherchent jamais à voir ses imperfections et par là même à les corriger. C’est ainsi que se voient les juges et ils sont bien les seuls. Le peuple lui, qui les paient, voient les barbares courir dans les rues le couteau à la main, ils voient les prévaricateurs s’enrichir dans un cynisme absolu, il subit leur morgue, il voit que les affaires multiples concernant un ancien président de la république ont tellement traîné qu’il est maintenant possible à ce dernier de se réfugier dans le replis douillet de la sénilité, ils voient les morts à Nice, dans le 11e, dans un supermarché casher, tous tués par des repris de justice. Le peuple goûte peu la perfection de notre justice et parmi ses multiples qualités : la procrastination.
Car la justice va à son rythme, elle a son petit caractère, la presser c’est l’insulter. Elle est comme un serveur de restaurant qui apporte les plats froids quand il daigne les apporter mais que la moindre remarque transforme en dangereux psychopathe.
Il y a presque 40 ans, un ancien résistant et non des moindres, ministre, qui avait occupé des fonctions ministérielles sans discontinuer pendant 15 ans, était retrouvé mort dans un étang de la forêt de Rambouillet. Qu’elle ait dans un premier temps conclu au suicide malgré une liste impressionnante de faits contradictoires, qu’elle ait égaré puis retrouvé des pièces du dossier, qu’elle ait fait pratiquer des autopsies en dépit du bon sens, qu’elle ait omis d’interroger des témoins importants, renoncé à en retrouver d’autres qui vivaient pourtant à deux pas, tout cela ne doit pas nous étonner de notre ombrageuse justice, mais que 40 ans après, la famille de la victime n’ait toujours pas "obtenu justice", voilà qui est rien moins que scandaleux.
Un ancien ministre du Général de Gaulle, interpelle publiquement le garde des sceaux lui disant qu’il est prêt à lui livrer le nom des assassins et des commanditaires, ledit garde des sceaux si prompt à répondre lorsqu’il s’agit de « minorités », produisant à la demande ses diatribes émaillées de vers de mirliton, ne trouve pas l’opportunité de recevoir ce vieux serviteur de l’Etat qui meurt opportunément quelques années plus tard. Plus récemment madame Aude Montrieux, juge d’instruction, à qui a été confié une information judiciaire pour « arrestation, enlèvement et séquestration suivis de mort ou assassinat » reçoit de la part de la fille d’un autre ministre du général (accessoirement l’un des fondateurs du SAC), une proposition semblable assortie de la remise des preuves réunies par son père. Un an plus tard, madame le juge d’instruction, n’a pas trouvé dans son agenda surchargé, les soixante minutes nécessaires pour recevoir cette femme de bonne volonté.
Il est permis de se demander si notre animal lent et sage n’attend pas tout simplement que tous les protagonistes de cette histoires soient morts et leurs enfants aussi. Alors elle pourra passer le témoin aux historiens qui ont l’éternité pour eux. Est-ce la volonté de ne pas savoir qui guide notre justice, y-a-t-il une sourde alliance avec l’omerta politique, tradition professionnelle que celle-ci partage avec la mafia ?
Ou n’est-ce que la sourde obsession des juges à aller à leur rythme ? Les juges ne sont pas toujours lents. Ils peuvent aller vite quand ils le veulent, comme madame Vichnievsky qui le 20 septembre 1991 rendit une ordonnance de non-lieu, neuf jours seulement après que le dossier lui eut été confié ! Mais ils peuvent attendre plus d’un an avant de recevoir un témoin essentiel. Ils vont comme ils veulent et l’intérêt et même la vie du justiciable qui pourtant les entretient n’est rien à leurs yeux. Ils ont concession de la Justice, comme les fermiers généraux avaient concession de l’impôt, embellissant leurs fastueux hôtels particuliers avec l’argent du peuple affamé.
Les enfants du ministre mort il y a quarante ans n’ont hélas pas trouvé leur Cicéron qui sauva le jeune Roscius, en mettant à jour les liens entre le Politique (chrysagonos), le judiciaire (Erucius) et la pègre (Magnus et Capiton) et parvint à mettre dans l’esprit du peuple, réuni en cour pénale sur le forum, cette question obsédante : à qui profite le crime ?