Le chemin cahotant de la moralisation
La loi dite de moralisation de la vie politique vient d’être votée. La disproportion entre l’emphase du terme et le contenu est frappante. Pour en arriver à ce résultat minime, le projet a suivi un chemin erratique dont cinq étapes méritent commentaire.
En guise de prologue le généralissime de la Jupitérie a été pris dans une affaire qui sous d’autres latitudes serait qualifiée sans autre forme d’abus de bien social. En effet, il n’entre pas dans l’objet social des mutuelles d’enrichir leurs dirigeants ou leur famille élargie par le biais d’opérations immobilières. Ladite institution qui dispose sans doute d’une direction des achats qui permet de négocier de façon sanguinaire avec les sociétés d’entretien ou les fournisseurs de prestations informatiques a passé un contrat pluriannuel avec une société créée pour l’occasion, ne disposant que d’un seul actif, celui faisant l’objet du contrat, dont l’acte de vente a été signé par son propre directeur général. Tout cela est évidemment de « bonne pratique ». Le résultat en tout cas est là ! La famille élargie, en l’occurrence la maîtresse, s’est enrichie d’un bien immobilier évalué à 600 000 € -le rêve de beaucoup de français qui travaillent dur- sans dépenser un centime, sans rien faire, sans prendre le moindre risque ; tous les livres d’économie rappellent que l’enrichissement du capitaliste est la rétribution des risques qu’il sait prendre, ils ont tort, les bonnes vieilles magouilles qui sentent bon la province des films de Chabrol sont plus efficaces.
La Justice qui, passé les élections et l’élimination d’un concurrent dangereux, avait retrouvé son indolence naturelle, a fini par se saisir du dossier au moment où démarraient les discussions sur la « moralisation ». Fâcheuse concomitance. Il n’est pas impossible que ce dernier ait le sort funeste de beaucoup de ces semblables et ne finisse dans les marais procéduraux, toujours est-il que le généralissime a été destitué, à moitié, et promu au rôle de garde chiourme de la députaille rémiste.
Ensuite ce fut au tour du ministre de la justice lui-même, porteur du projet, de sauter inopinément sur une mine, en l’occurrence une sombre affaire d’assistants parlementaires payés par le parlement européen et employés semble-t-il à d’autres fins. Si cet homme politique béarnais avait fait du cinéma, nul doute qu’il ait trouvé des emplois de grands second rôle qui meurent au début des films de guerre en tombant d’une échelle ou en étant piqué par une guêpe.
Après ce départ fracassant, du moins fracassa-t-il les caciques en question, la DRH gouvernementale entra en scène. On lui reproche quelques détails d’une procédure qui permit de griller 500 000 Euros d’argent public si rare, les militaires le savent bien, pour assurer la promotion personnelle d’un ministre de l’économie sous forme d’escapade à Las Vegas. Ce n’est pas du fond qu’il s’agit, mais de pure forme, un peu comme si Jack l’éventreur avait été arrêté non pour sa façon particulière de traiter des prostituées de White Chapel mais pour ne pas avoir passé ses instruments à l’autoclave avant de procéder.
Les députés REM et leur chef, l’ex-généralissime, poussèrent leur note à leur tour : ils effacèrent la promesse selon laquelle seul un casier judiciaire vierge permettrait l’accès aux mandats électifs. La belle moralisation que voilà. On ne peut pas répondre à un appel d’offres des marchés publiques si on a un casier, mais on peut être député, sénateur, ministre, etc… comprenne qui pourra !
Et pour finir revoilà la DRH, à qui il est reproché maintenant de s’être enrichi d’ 1 million 130 000 €, en exerçant ses stocks options (achat/vente dans la même journée, pratique habituelle qui permet d’encaisser la plus-value sans sortir d’argent ce qui dépasse cependant l’entendement du porte-parole du gouvernement qui a voulu défendre le ministre et n’a réussi qu’à se ridiculiser : « elle n’a pas fait une bonne affaire ») dans le cadre d’un plan social. Soyons clair, les stocks options (et leurs émules BSA, BCE) sont un moyen peu coûteux pour l’entreprise d’enrichir et de fidéliser les cadres. Les DRH qui font des plans sociaux et les DAF qui fournissent les chiffres permettant de les construire sont souvent mieux servis que les directeurs d’usine qui se battent pour conserver des emplois ; c’est comme ça. La proximité du pouvoir est souvent préférable à celle du terrain. Que ces options soient exercées au moment des départs (départ négocié, plan social) est aussi une pratique courante car elle défiscalise la plus-value. En l’occurrence cela a permis à la DRH en question d’économiser un peu moins de 400 000 €, c’est la loi. Remettre tout ça en question au nom de la morale est sans doute une idée que peut caresser un Mélenchon mais qui dans un univers économique ouvert mérite d’être pesée si nous voulons garder sur le territoire quelques centres de décision. Peut-on reprocher quelque chose à la DRH ? C’est peu probable. Elle pourra aisément démontrer qu’elle aurait eu les mêmes conditions de départ si elle avait été responsable du marketing ou de la communication. Qu’elle ait été au four et au moulin, ne change rien et ne porte pas en soit de conflit d’intérêt. Est-ce moral ? A chacun d’y répondre.
Le problème vient de l’ambiguïté du traitement qui a été réservé au passé du généralissime. A vouloir édulcorer la gravité des faits et des comportements, on favorise le poujadisme et par conséquence on jette le doute sur les autres membres du gouvernement qui ne sont pas des escrocs mais pas des boyscouts non plus.
Et maintenant le projet est voté. Il ne contient rien ou presque à part, pour la représentation nationale, l’interdiction des emplois familiaux qui sont autorisés dans toute l’économie. Un député ne pourra plus employer sa femme, alors qu’il pourra employer sa maîtresse. Vive l’amour libre ! La loi supprime également la réserve parlementaire, à croire que celle-ci ne servait décidément qu’à l’enrichissement personnel des bénéficiaires, pas à restaurer des églises, ni à donner des coups de pouce aux associations ou à payer les fameux assistants. Deux gadgets dont la mise en œuvre promet d’être amusante.
Mais s’il n’y a rien dans cette loi au titre pompeux, n’est-ce pas tout simplement parce qu’il n’a jamais été question que de communication, qu’il n’y a jamais eu derrière ces mots la moindre volonté de rétablir les fondements d’une morale en politique, les fondements d’une relation saine entre le peuple et ceux qui le représentent? Il eut pourtant été simple de parvenir à l’objectif en quelques articles et sans grandiloquence : pas plus de 10 ans dans la vie politique, pas de casiers judiciaires, strict suivi de l’évolution du patrimoine et limitation des revenus, contrôles des dépenses avant et non après comme cela se fait dans toutes les entreprises. Avec de telles lois, c’en serait fini des voyages ministériels à Las Vegas pour faire trois selfies et des voyages d’étude du conseil régional de l’IDF à Cannes -véridique, 380 000 €, cours des comptes 2016-, c’en serait fini de l’enrichissement faramineux d’un édile des Hauts de Seine aux dépends de ses administrés et de leurs arrière-petits-enfants.
Des citoyens gouvernés par des citoyens honnêtes, est-ce trop demander pour un état démocratique ?