Una truffa !

Publié le par Jean Dampierre

Una truffa !

L’historien d’art italien, spécialiste du baroque et en particulier du Bernin, Tomaso Montanari a publié en 2012 un livre très intéressant, intitulé, A cosa serve Michelangelo, dont la lecture nous ramène à une actualité culturelle et politique assez tendue. Il y retrace les pérégrinations d’une statuette –un crucifix en bois- considérée d’abord comme une œuvre possible du jeune Michel-Ange, puis comme un chef d’œuvre du grand sculpteur florentin, et à ce titre achetée par l’Italie, avant de sombrer dans l’anonymat d’un atelier florentin produisant en série –une dizaines de christ semblables sont connus, dont le « meilleur » est à Rouen. Pour finir, de simple erreur d’attribution le « christ retrouvé » devient le protagoniste d’une escroquerie que l’italien appelle poétiquement, « truffa ». C’est la supériorité des italiens sur nous les nordistes, chez eux rien n’est vraiment dramatique, Toto (Toto truffa) n’est jamais loin.

Montanari démonte le dossier pièce par pièce. D’abord un expert découvre la merveille –mais il est directement intéressé à sa valeur marchande-, une institution prestigieuse, la fondation Horne à Florence, met en scène l’objet dans une exposition « scientifique » peuplée de dendrologie de dendrochronologie et d’anatomisme, mais oublie la confrontation –la fameuse mise en série- aux petits christs florentins fin XVe, dont celui de Rouen, qui eût permis une analyse comparative, la presse entre en scène et avec elle un peu de nationalisme, les experts à leur tour mais pas tous, et pas pour les mêmes raisons, certains sont intéressés financièrement, d’autres pas, d’autres n’ont pas de temps à consacrer à ce dossier. Avec tout ça, comme un coup forcé aux échecs, l’état italien classe l’objet et l’interdit de sortie. Dès lors, la république transalpine est prise au piège. L’objet poursuit sa carrière, et va d’expositions en expositions, toujours monographiques, toujours hagiographiques. Les musées florentins entre en jeu. Peut-on trahir sa patrie au point de laisser partir un chef d’œuvre ?

Les négociations commencent, elles durent, de 18 millions d’euros, on finit par faire le deal à 3,25 ! Une autre tournée d’expositions commence, italiennes, nationalistes, glorieuses et heureuses. Mais le chef d’œuvre se lézarde. Les critiques affluent. Le Times écrit: « Yes, It’s Beautiful, the Italians All Say, but Is It a Michelangelo?”. Partout dans le monde on doute, sauf dans la presse italienne. L’Italie résiste mais l’analyse en série est fatale au crucifix, l’œuvre est assez banale, sans rapport avec le génie de Mike et la spécialiste allemande de la sculpture italienne de la fin du quattrocento, met le clou final sur le cercueil : c’est probablement de Jacopo Sansovino.

Revenons au fond de l’affaire. Les erreurs d’attribution sont très communes, ce n’est pas un problème en soi. La connaissance progresse autant par ses erreurs que par ses résultats établis. Ce qui est terrible c’est le piège de l’escroquerie et que ce piège est en fait constitué par le contexte des lois que nos gouvernement ont acceptées.

Rencontré par hasard par Montanari, le ministre ayant signé le dossier répond simplement : « eh, qu’est-ce que j’en sais-moi si c’est un Michelangelo ou pas un Michelangelo. C’est aux experts de le dire ». Il a raison. Mais, là où on peut critiquer le livre de Montanari, c’est qu’il est très fort pour démonter la mise en scène et relever les erreurs de méthodes en tant qu’historien d’art, mais qu’il ne voit pas le problème politique et le chantage ou le piège dans lequel sont pris les politiques.

Une fois que, manœuvrée par la presse, elle-même manœuvrée par des experts, eux-mêmes actionnés par de braves capitalistes qui veulent valoriser au mieux une marchandise et une transaction, l’opinion est acquise à la cause du « trésor national », le politique ne peut que payer les dégâts en les négociants au mieux. En effet, et c’est sur ce point que le livre oublie un élément de contexte, il y a 30 ans, un état européen pouvait interdire de sortie un objet et laisser les historiens d’art travailler à leur rythme, qui n’est pas celui du marché. Aujourd’hui il n’y a que deux solutions : classer en tant que monument national, dans ce cas l’état paye directement un préjudice commercial au propriétaire de l’œuvre –perte directe de la valeur de l’objet due à l’interdiction d’exporter- ou bien il classe en tant que trésor national, dans ce cas il a quelques années –en France, trois- pour trouver les fond ou les mécènes. Mais dans un cas comme dans l’autre, quelle est la valeur de l’objet ? Il est évident qu’entre un  Michel-Ange et un Sansovino, il y a un facteur 20 et avec un « atelier florentin » un facteur 100. De même, pour une histoire qui nous est proche, le « Caravage de Toulouse », si s’en est un, vaut 100 millions d’Euros, sinon, si c’est un Finson, par exemple, 1 million est bien assez. Qui fait la ligne de partage ? Les experts, ceux-là même qui ont permis au château de Versailles de se rendre propriétaire de magnifique sièges Louis XVI de Delanoy, datant de la cinquième république. Et ces décisions les politiques, plus que les fonctionnaires des musées, doivent les prendre sous la pression de la presse, des experts, les mêmes ou d’autres, de grands musées internationaux peu regardants sur les moyens d’enrichir leurs collections (un seul exemple : « A scandal surrounding the looting of ancient artefacts deepened yesterday when it emerged that 350 items worth $100m held by one of America's leading museums are of dubious provenance. The items, identified by an internal review by the Getty Trust in Los Angeles, are in addition to 52 artefacts valued at more than $48m that the Italian government is demanding be returned.” Guardian 19/06/2006).

Que s’est-il passé? Le marché unique! Les états Européens se sont dessaisis de leur droit de conserver leur patrimoine au profit de l’acte unique. Mais l’Europe s’est elle-même immédiatement défaite de ce droit qui lui était transmis au profit du marché. L’Europe c’est de la politique apolitique, c’est la puissance impuissante. C’est ainsi que les œuvres d’art, les œuvres d’art de rang patrimonial, ne sont plus que des marchandises et que les états, les nations qu’ils représentent, les peuples qu’ils incarnent, sont soumis à rançon pour leur propre patrimoine. A la conservation du patrimoine, le marché unique a substitué un système commercial, très proche de celui de la mafia où, on a le droit de jouir des biens qu’on possède, pour autant qu’on s’acquitte des prélèvements qu’elle impose.

Ainsi dans notre beau pays, la même mécanique infernale s’est mise en marche. Un expert a « découvert » un « Caravage » à Toulouse. Après l’avoir exposé comme un trésor digne de ce nom dans son étude (derrière un rideau, sans pouvoir faire de photographie…), il lui a obtenu une exposition dans une institution prestigieuse –la pinacothèque Brera, laquelle a dit et écrit néanmoins, qu’elle ne validait pas l’attribution- en compagnie d’un Caravage indéniable –les pèlerins d’Emaus- et d’une œuvre plus faible sur le même sujet conservée à Naples. Les arguments sont différents mais semblables à ceux du crucifix : s’il y a des repentirs c’est un original, si c’est mieux que celui de Naples, qu’on attribue à Finson, c’est que c’est un Caravage. Bref c’est un chef d’œuvre de Caravage. Le tableau a été interdit de sortit l’année dernière, depuis le compteur tourne!

Saura-t-on retenir la leçon du Michel-Ange retrouvé et oublié depuis, rien n’est moins sûr car toute la logique du marché unique et du mercantilisme absolu du monde de l’art s’y opposent.

Il est urgent que le Politique reprenne la main en ce domaine, et qu’au nom du peuple français, il impose à nouveau ses frontières et son rythme.

 

 

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